Lorsqu’il peignait, Rame appartenait à ce monde normand, à ses profondeurs organiques, disposant de ce qu’il fallait de relations, de notoriété et de silence, on le sait bien maintenant mais les signes d’identité restent merveilleux et font plus que jamais rêver. Rame était un berger peintre, vivant son village comme il vivait sa peinture, brassant avec sérieux, pondération et parfois ironie, les labeurs de la peinture et ceux de tous les jours. Rame est l’homme d’une utopie que beaucoup voudraient retrouver aujourd’hui : vivre à la mesure de l’horizon sur une terre qui dispense presque tout. Ses échappées sont courtes et salutaires, l’école des Beaux-Arts et le musée de Caen, les visites aux Salons parisiens ; si le monde doit venir, qu’il vienne au pays. Chez lui, les mutations doivent peu aux modes et aux pratiques, le goût du savoir animalier, de l’agencement pittoresque se transforme insensiblement en une quête des sensations physiques ; sous ses doigts, la peinture laisse exhaler un fumet, elle se transforme en un brouet fort et succulent longtemps mijoté dont le gout se concentre esquisse après esquisse, tableau après tableau. Les sujets gagnent à être réchauffés : arbres, églises, moutons, intérieurs et sillons. Eugène Fromentin avait tracé la voie dans ses Maîtres d’autrefois pour un art « lourd et sommaire, spirituel et négligé, sensible et fort esquivé », mais Rame ne plonge pas dans les délices romantiques du naturalisme cher à Claude Monet ; il reste un rude réaliste accompagné par la distance tragique des ombres roses et violettes et la gravité des empâtements.